Etre citoyenne en Tunisie
du 01/09/2011 au 30/09/2011
GALERIE ARCIMA
161, rue Saint-Jacques
75005 Paris
France
L’ exposition « Etre citoyenne en Tunisie », organisée par la galerie Arcima à Paris, présente quatre artistes tunisiens : Héla Lamine, Wissem Ben Hassine, Aïcha Skandrani, Essaadi, dont les oeuvres montrent un regard sur la femme ou de femme tunisienne. Etre citoyenne est un propos dont la pertinence se confirme avec l’actualité de la Tunisie qui connaît depuis plusieurs mois un des plus grands bouleversements de son histoire : une révolution mue par une soif de démocratie venant du peuple. Quelle est donc la place de la femme dans ce bouleversement politique et social?
Dès 1956, le Code du Statut Personnel engage la Tunisie dans une voie laïque et proclame « le principe de l’égalité de l’homme et de la femme » en tant que citoyens. La femme peut dès lors embrasser son propre destin : choisir son époux, divorcer, travailler, ouvrir un compte bancaire… du moins selon la loi. Les faits sont autres. Si dès la fin du 19ème siècle, des penseurs dont Tahar Haddad, Cheikh Mohamed Snoussi, Abdelaziz Thaalbi ont dénoncé les injustices de la condition des femmes, la valorisation de leur statut a été un véritable combat. Aux premières lignes la mili¬tante féministe Radhia Haddad qui, en 1956, adhère à l’Union Nationale des Femmes de Tunisie (UNFT) pour en être la présidente pendant quinze ans. Elle devient l’une des premières femmes parlementaires dans le monde arabe et n’a eu de cesse de militer pour l’émancipation de la femme et ce jusqu’à son décès survenu en 2003. Elle retrace cet engagement dans son autobiographie, Parole de femme, parue aux éditions Elyssa en 1995 à Tunis. Qu’en est-il aujourd’hui à l’aube de nouvelles élections ?
De nouveau, les femmes s’expriment et revendiquent la nécessité de donner « les mêmes chances aux femmes qu’aux hommes » dans la société tunisienne. Leurs propos semblent être en¬tendus puisque, le 11 avril 2011, la Tunisie adopte la parité homme-femme en politique. Il s’agit d’impliquer la femme dans la vie politique mais aussi de la rendre plus visible. C’est dans ce contexte d’une féminité conquérante diverse et multiple que l’exposition « Etre citoyenne en Tunisie » s’ins¬crit.
Aïcha Skandrani pratique une photographie dont la particularité est de ne pas traiter de la représentation d’objet, mais de la représentation des effets de la lumière sur les objets. Le résultat est une forme d’abstraction, malgré des sujets bien réels comme les aéroports, les autoroutes, les voitures... Elle s’affranchit des conventions photographiques admises pour enregistrer la lumière qui, à l’extrême, peut dissoudre les formes dans le frémissement de l’atmosphère.
Cette pratique photographique crée une esthétique de l’évanescent qui s’accompagne d’une portée symbolique embrassant différentes cultures et religions dans un esprit de tolérance. L’œuvre d’Aïcha Skandrani témoigne ainsi d’une conscience spirituelle et d’une recherche philosophique qui enveloppent ses photographies de mystère.
Toute autre est l’oeuvre photographique d’Essaadi qui aborde essentiellement le corps de la femme transcendé par le traitement. L’artiste projette sur le corps des femmes, différents motifs tels que des tapis d’Orient, des moucharabiehs, des entrelacs et des arabesques aux circonvolutions plus ou moins complexes. Par ce système de projection, la femme devient le support, en l’occurrence un véritable écran, d’une culture ancestrale.
La femme est replacée au coeur de la culture, soulignant ainsi cette union de l’âme et du corps enseignée par l’Islam éclairé. Ces projections évoquent les tatouages au henné et deviennent un alphabet organique adressé au monde moderne. Nulle provocation dans ses photographies, bien au contraire, c’est plutôt avec une grande pudeur qu’Essaadi nous livre le corps de ces femmes apprêtées d’ombres et de lumière.
La peinture de Wissem Ben Hassine traite de thématiques que l’humanité a en partage : l’enfance, la famille ; la maternité, l’avenir, l’espace intime…Le corps féminin est omniprésent dans son oeuvre. Il structure et construit l’espace, s’amalgame pour créer des mondes représentés sous forme de bulle ou d’oeuf. Ceux-ci figurent parfois l’espace clos personnel ou l’état embryonnaire, signe d’une vie future.
Si la fertilité est une thématique centrale dans son oeuvre, elle ne s’accompagne pas d’un idéalisme suranné. C’est toute la complexité de la nature humaine qui surgit dans son oeuvre, entre douceur et dureté, bonheur et tristesse. Ainsi des personnages aux yeux clos, recueillant dans leurs bras protecteurs un enfant, peuvent paraître torturés ou d’autres sereins. Si ses oeuvres résonnent comme un potentiel d’avenir où l’enfant trouve une place de choix, elles expriment aussi une cer¬taine dualité tant par la facture que les sujets traités.
C’est par le dessin que la jeune artiste tunisienne, Héla Lamine, a fait ses premières armes en art. La gravure, qu’elle enseigne à l’Ecole des Beaux-Arts de Tunis, s’est imposée comme une suite logique au dessin. D’un graphisme nerveux et incisif, elle crée un univers fait de personnages aux allures rocambolesques et dégingandées qui s’agglutinent, s’emboîtent et se superposent défiant toute proportion et toute logique. Les lignes sont aiguës, sans mollesse et tempérées par un usage parcimonieux de la couleur dont les effets plastiques rivalisent parfois avec des éléments collés.
L’artiste s’intéresse actuellement à la nourriture, emballée ou non, qu’elle scanne pour pro¬duire des compositions dont l’apparence est attirante et repoussante à la fois. Cette démarche char¬gée d’humour interroge notre rapport à la nourriture dans sa dimension sociale et politique. Ainsi la série « Nous ne mangeons pas de ce pain là » présente le portrait du président Ben Ali constitué à l’aide de morceaux de pain que l’artiste trempe dans l’eau. Les différents états sont pris en photo¬graphie et progressivement le portrait perd ses formes, moisit et s’effrite jusqu’à ne former qu’une silhouette faite de croûtons et de miettes. Si le gouvernement de Ben Ali ne s’intéressait guère à l’art contemporain, celui-ci en faisait un de ses sujets de choix. L’art n’est pas délié de la société où il éclot, il est le révélateur silencieux de valeurs symboliques, parfois d’enjeux sociaux, grâce à une recherche visuelle et plastique insoumise.
Véronique Perriol, Paris le 27 juillet 2011